1. L’état d’esprit des populations face à la guerre :
La déclaration de la première guerre mondiale est accompagnée à Nice par une manifestation massive de patriotisme, dès juillet 1914 (déclaration de guerre, début de mobilisation)…
Le patriotisme niçois est très marqué avec la création d'un calendrier aménagé pour un effort de guerre :
- secours aux soldats,
- « journées nationales » lancées par des associations pour récolter des fonds et impliquer les civils,
- La presse locale diffuse des ordres de mobilisation, traque les non-mobilisés,
Les deux quotidiens locaux (le petit niçois & l’éclaireur de Nice) concluent une trève et oeuvrent au coude à coude pour un effort de guerre.
- On crée un commerce : « galas de bien-faisance », « ouvroires » (travaux bénévols féminins).
- Des emprunts : les azuréens prêtent leur argent pour soutenir l’effort de guerre.
Cette politique patriotique est organisée par les pouvoirs politiques et religieux, qui soutiennent l’action militaire française mais dès 1916, l’enlisement des combats fait diminuer ce soutient.
Le 11 novembre 1918, l’armistice déclenche une explosion de joie notamment à Nice et on rebaptise certaines rues.
Nice est alors française depuis 50 ans. Les populations ont affichées leur volonté d’intégration (cette guerre aura servie de ciment d’intégration nationale pour les populations de l’ancien comté).
Ce phénomène n’a rien a voir avec la guerre franco-prussiène de 1870. Ainsi en 50 ans à Nice les mentalités ont évoluées fortement.
On crée des lieux de culte du patriotisme :
- la tombe de Gambetta
- la statue de Massena
- la statue de Garibaldi
- plus tard le monument aux morts
a. Une guerre très douloureuse :
La guerre tue plus de 3600 niçois, et autant de soldats originaires du département. Presque toujours, les appelés de la région ont servis dans le XVème corps. Il s’agit d’un corps déconsidéré de l’armée française : il est souvent envoyé en première ligne au feu et participe aux opérations massives et dures (en Lorraine, Alsace, Belgique…).
Dès 1916, les offensives meurtrières entraînent un recul des troupes françaises et une série de défaites. On accuse l’état major français d’incompétence. Ce dernier se retourne alors contre le XVème corps. Les soldats du Sud deviennent les bouc-émissaires des défaites militaires françaises.
Le quotidien parisien « Le Matin » critique vivement le XVème corps » en titrant « la faiblesse du XVème corps ».
Dès lors, la provence et le Sud de la France sont mis au banc de la nation.
Les réactions sont alors nombreuses et vives dans les régions concernées.
Pendant ce temps là sur le front, le XVème se bat et accumule les défaites. La moitié de ses effectifs sont morts, soit 10.000 soldats. L’acharnement médiatique ne faiblit pas : on parle du « moins français des corps d’armée ».
Au sein de l’armée, le XVème et ses soldats sont la risée des troupes. Ils supportent brimades et réflexions.
Jusqu’en 1918 à l’armistice cette douleur est très marquée.
Les journaux locaux se lient ensemble et portent une « demande de réparation » solennelle au président de la république, Paul Deschanel.
Il vient à Nice le 10 mars 1920, porte réparation et inaugure la place du XVème corps.
Dans les années 20, les articles de la presse divergent quand au rôle du XVème durant les conflits.
Ce n’est qu’en 1928 que le Maréchal Foch rend hommage au XVème durant l’inauguration du monument aux morts.
Ses combattants deviennent alors héros de guerre : Jean Médecin, Général Goirant… l’extreme diversité des situations des anciens combattants implique enfin les populations locales et prouve leur patriotisme.
b. La vie quotidienne durant le conflit :
La société est marquée par la hausse soudaine de la germanophobie. Cette haine et crainte existait avant le conflit (présence allemande massive jusqu’en 1914 sur la côte) mais elle était atténuée.
Entre 1870 et 1914, les cours princières allemandes venaient sur la côte. Souvent ces grands aristocrates ont peu de rapport avec l’armée allemande ou même le gouvernement, les niçois leur reprochent la germanité.
La guerre projette la société dans une pensée raciste qui mène à détruire les biens supposés allemands.
A Nice, ces allemands peuvent appartenir à un autre groupe social : les travailleurs (ils ont une emprise conséquente sur l’économie).
Dès 1911 le groupe politique pro-monarchique « Action Française » montrait du doigt les allemands des Alpes-Maritimes. Ils étaient alors près de 2.000 à vivre et travailler, surtout sur la riviera : Beaulieu, Cap d’Ail, Menton…
La germanophobie frappe le 5 août 1914 : tous les hôteliers allemands membre du syndicat sont rayés. Ces derniers se protègent alors par le biais du corps diplomatique, qui négocie et évite la saisie/réquisition des hôtels.
La germanophobie réagi en créant une Ligue Régionale de Protection Anti-germanique de la Côte d’Azur. Cette ligue profite aux commerçants et industriels locaux puisqu’elle prône un boycott des enseignes allemandes ou réputées comme tel. La ligue est soutenue par des personnalités politiques diverses (Goirant, De Joly)…
Mais l’emprise économique allemande sur la côte est assez forte : 70% des activités à Menton sont tenues par eux. Ils participent également à l’essor économique et commercial de la région notamment à Grasse avec l’industrie du parfum où ils sont des clients importants.
Mais la création de cette ligue n’est que la face visible d’une véritable « psychose de l’espion allemand ». Des légendes et rumeurs circulent (bombardements, survols nocturnes, infiltrations…)
En 1914, on pille certains magasins « allemands » :
- les bouillons « kub » sont systématiquement détuits.
- Le lait « Maggy » est réputé empoisonné.
Marc Bloch entreprend un travail de recensement des rumeurs dans une œuvre de 1920.
Cette germanophobie crée des problèmes divers en Alsace et Lorraine.
En 1915, une rumeur circule : l’Italie va entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne (ce qui est faux : elle se place dans le camp français). Cette rumeur alimente les psychoses niçoises.
On amplifie la germanophobie en confisquant les biens allemands, on débaptise certaines rues, et même les noms communs : un chien berger allemand devient un « loup d’alsace ».
La pauvreté et le boulversement démographique entraîne également la monté de la délinquance.
Dès 1915/16, on enregistrement un fort accroissement des cambriolages, de la mendicité, prostitution.Ceci peut s’expliquer par la baisse des effectifs de police, le manque d’éclairage public, le nombre de jeunes désoeuvrés (sans père).L’insalubrité, l’insécurité, la drogue, les bagarres, les traffics… autant de maux qui rongent les populations de Nice. En 1915, le vieux-Nice concentre des fumeries d’oppium.
Des bandes de voyous sont craintes :
- la Cloche en l’air : une des bandes les plus célèbres et redoutées de Nice : rapines, vols…
- l’As de pic : une bande de Riquier.
Ces groupes sont mystifiés par la presse, friande d’anecdotes. Le vieux-Nice est perçu comme mystérieux et dangereux.
2. Economie et société : le ravitaillement pendant la guerre :
La question du ravitaillement de l’extrème Sud-Est de la France a soulevé de gros problèmes.
L’organisation dirigiste n’a pas su faire face à la ruée des consommateurs à l’annonce de la guerre : l’amas de provisions entraîne des queues interminables, qui entraînent des hausses de prix, et des tensions.
Les produits courants : patates, viande, pain… sont suspects aux yeux des consommateurs : on suppose des ententes, magouilles des commerçants et cela débouche sur des conflits.
Les pouvoirs publics réagissent en punissant les commerçants qui violent la loi. Une commission départementale d’alimentation est crée. Cette structure dirigiste contrôle la situation jusqu’en 1915 environ.
Alors que Marseille est peu ravitaillée, la proximité de l’Italie permet un approvisionnement convenable aux niçois.
Mais 1915 marque l’entrée en guerre de l’Italie. Ses productions alimentaires ne sont plus autant exportées.
Dans le même temps en France toute l’économie et les transports sont consacrés à l’effort de guerre.
Cette déterioration de 1915 se maintient jusqu’à la fin du conflit avec une année particulièrement rude en 1917 :
Rationnement du sucre (mars 1917), réglementation sur le blé, peu de gaz et de pétrole commercialisé, peu d’éclairage…
En février 1917 les commerces jugés luxueux (salons de thé, confiseries, pâtisseries) sont fermés.
En mai 1917 les boucheries doivent fermer 2 jours par semaine.
On cherche à rentabiliser la terre systématiquement : des semailles sont plantées partout en ville, on vit en autarcie.
Les difficultés ne disparaissent pas avec l’armistice et cette situation perdure jusqu’en 1921.
Les difficultés des commerçants niçois entraînent fraudes et marché noir.
Marseille est critiquée et la situation de disette provoque une indignation « anti-marseillaise » (Marseille ferme les vannes). Les élus locaux sont également l’objet de critiques vives. Les aristocrates sont visés par le peuple, eux qui consomment « sans contraintes ni restrictions ».
Les consommateurs s’approchent de la presse pour créer des comités de défense et de surveillance.
De ce phénomène il faut souligner l’extrême vulnérabilité du département qui n’assure pas sa propre subsistance.
Alors qu’en 1914 Nice était la capitale mondiale du tourisme, la ville durant la seconde guerre mondiale devient une commune de second rang.
Ce bouleversement est durable mais confère aux Alpes-Maritimes une fonction nouvelle de terre d’accueil des soldats blessés et réfugiés.
Les premiers blessés du front arrivent sur la côte des août 1914. Leur rassemblement sur la région niçoise s’explique par l’éloignement du front, le climat, et surtout le nombre de lits disponibles.
Les premiers soldats sont plutôt bien accueillis. Ce sont généralement ceux qui ne repartiront pas sur le front. Mais l’afflux massif des blessés sature rapidement les services.
En septembre 1914 on en compte 5.000 à Nice, et 10.000 dans le département.
On réquisitionne des villas, hôtels, on manque de personnel.
Les convois sont incessants. Les accueils sont bons. On propose des concerts, conférences, distractions diverses. Pour les populations locales l’implication dans l’accueil des blessés du front est une forme de participation au conflit.
Il arrive un autre flux humain : les réfugiés. Les autorités sont complètement dépassées par le nombre :
Fin 1914 ils sont environ 10.000 dans les A.M. On fait face à la situation en instaurant un contrôle sanitaire puis des affectations dans l’arrière-pays. Mais les contacts sont délicats, les réfugiés sont mal perçus.
Durant la guerre, Nice reste touristique. Les politiques locales l’ont bien compris, « sans tourisme la Côte d’Azur n’existe pas ».
Bien sûr, il y a moins de tourisme : pas d’allemands, mois de russes et d’anglais.
La perte de clientèle amorce la fin de l’insouciance de la Belle Epoque et se marque par la chute de la capacité d’accueil (due aux réquisitions).
En hiver 1914/15 la presse fait l’apologie du tourisme : « du tourisme la richesse ». Dans cette optique on cherche néanmoins un « service minimum touristique ». Mais la crise des transports limite l’offre niçoise. Il n’y a pas de casinos ouvert, ni de music-hall, pas de carnaval entre 1915/22.
Cette décrue nette profite aux concurents italiens et espagnols. Il faut attendre 1917/18 pour voir le nombre de touristes augmenter légèrement (40.000)
Les transports restent desorganisés jusqu’en 1922, à cause de l’inflation et du manque de main d’œuvre.
Les difficultés de l’hôtellerie locale, le vieillissement des bâtiments entraîne un changement dans les mœurs des touristes : il y a moins d’aristocrates mais plus d’américains. Globalement le tourisme devient à la portée de classes sociales plus populaires. Ainsi les séjours sont moins longs et plus estivaux.
Le bilan de la guerre est de 7000 morts dans le département. Des pertes matérielles importantes sont à signaler. Financièrement l’économie va mal : il y a une dette public énorme et le budget ne s’équilibre pas. Nice connaît divers problèmes sociaux, et le tourisme est globalement en baisse.