Voici l'étude de 8 monnaies romaines vues de leur revers et de 3 monnaies vues de leur envers.
Elles représentent le port d’Ostie à l’époque de Néron, Trajan et Commode.
L'analyse se fera au travers de deux aspects évoqués dans les représentations : les navires, puis les infrastructures.
Nero. Sestertius, Lugdunum circa 65, æ 31.62 g. NERO CLAVD CAESAR AVG GER P M TR P IMP P P Laureate head l., with globe at point of neck. Rev. S – C Bird’s eye view of the harbour of Ostia. At the top faros surmounted by statue of Neptune, holding sceptre; at bottom, reclining figure of Tiber l., holding rudder and dolphin; below, PORT AVG. To l. crescent shaped pier with portico. To r., crescent-shaped row of breakwaters. In the centre, eight ships. RIC 441. BMC 323 (this reverse die). C 252. CBN 75 var.
Trajan. AD 98-117. Æ Sestertius (23.35 g, 6h). Struck AD 112-115. Laureate and draped bust right / PORTVM TRAIANI, three ships within hexagonal harbor framed by two-story arcades; temples surmounted by statues on either side below. RIC II 632; Banti 84A.
Commode. Medallion circa 189, æ 73.11 g. IMP COMMODVS AVG PIVS FELIX Laureate, draped and cuirassed bust r. Rev. VOTIS FELICIBVS Commodus, veiled, sacrificing at tripod placed at the entrance of a harbour towards which five vessels are approaching; a priest standing by the tripod accompanies the Emperor. On r., a pharos and beneath, on the sea-shore, a slain bull. C. 996. Gnecchi pag. 71, 175 and pl. 89, 7. H. Gruber, Roman medallions in the B.M., p. 30, 44 and pl. XXXV, 3. BMC p. Clxxxiii
Les navires :
Le revers de cinq monnaies de Néron figure une vue « en œil d’oiseau » d’une scène de navires dans le bassin du port d’Ostie. Il n’y a pas d’indication de date : aucun évènement majeur ne semble être mentionné (inauguration ou achèvement divers). Ces monnaies ne pourraient être datées avant 63/64. On propose la chronologie de 64/65.
La face de ces monnaies représente le buste de l’empereur lauré à gauche avec le globe sur la nuque. Autour de ce buste se lit sa titulature.
Une flotte de navire est concentrée dans un bassin. Parmi ces 8 navires, l’un d’eux est au centre. C’est le plus massif. Sa représentation le place comme important dans la composition de l’image. On suppose qu’il s’agit d’un navire de commerce chargé de son fret.
Parfois sur certaines monnaies[1], une petite embarcation à rame « scapha » est représentée à sa proue. Cette dernière est en train de tracter le vaisseau.
Lorsqu’un navire arrivait à proximité du port, handicapé par son chargement (ou par une météo difficile) et par conséquent peu manoeuvrant, il pouvait être pris en charge par une petite embarcation à rame.
Ce vaisseau de commerce est armé d’une voile carrée enroulée sur sa vergue. Sous le mât on distingue une partie de la cargaison ou une cabine. Sur certaines représentations[2] des marins sont figurés à chaque extrémité du navire, peut être aident-t-ils au déchargement.
Au niveau de la poupe et parfois de la proue un élément dépasse horizontalement de la coque. Sur l’une des représentations cet élément est agrémenté d’un bastingage[3]. Des personnages et du matériel sont disposés sur cet élément[4]. Il peut s’agir d’une passerelle.
On déduit que tant que le navire est tracté par la scapha, les marins ne sont pas représentés. Dès que la scapha s’éloigne[5] et que le navire est immobilisé, les marins entament le déchargement en plaçant les cargaisons vers la passerelle.
Afin de gagner du temps, avant même l’immobilisation, il semble que l’élément passerelle est déployé. Cette passerelle est en position relevée sur la monnaie en bas à droite. La scène du navire en attente au milieu du bassin portuaire montre l’effervescence du port et la synchronisation des différentes unités.
Autour de ce vaisseau central, on remarque plusieurs « scapha ». Parfois les rameurs sont représentés à bord[6]. Ils sont placés de dos par rapport au mouvement de la barque, afin de rentabiliser au maximum l’effort.
D’autres navires à voiles sont représentés autour du vaisseau central. Ils sont soit à quai, soit en train d’y accéder.
Si les quais sont trop encombrés, le navire doit attendre au milieu du bassin portuaire, auquel cas des bâtiments spécialement conçus les « lenunculi » peuvent entamer le déchargement.
Un navire de combat est représenté sur la droite, en haut (« à 1 heures »). Ce vaisseau long est armé de rameurs protégés par des boucliers, sa proue est renforcée d’un rostre[7]. Il est dépourvu de mât et ne manœuvre donc que par la force humaine (rameurs).
Les autres voiliers sont amarrés au quai, à l’exception d’un navire qui semble appareiller[8].
La représentation du navire appareillant est située sur le côté gauche de la monnaie (« à 10 heures »). La voile est en train d’être bordée, la proue est dirigée vers le large. Il est représenté parfois avec les passerelles non repliées, alors que le navire quitte son ponton. Il s’agit là encore d’une représentation de dynamisme qui illustre la recherche de gain de temps.
A proximité de ce navire, un autre est représenté en train d’arriver au port. Présent sur toutes les monnaies au sommet et légèrement à gauche (« à 11 heures »), il est mieux visible sur celles du bas du document. Sa voile carrée est gonflée par le vent, c’est le navire le plus dynamique de la composition parce qu’il entre dans le port à pleine puissance. Il semble que sa passerelle de proue est en position relevée (sur les monnaies du bas).
[1] Visible sur toutes les monnaies à l’exception des deux situées en bas du document.
[2] Visible sur les monnaies en bas du document.
[3] Monnaie au centre côté gauche.
[4] Monnaies situées en bas du document.
[5] Monnaie située en bas à gauche.
[6] On les remarque sur les deux monnaies du bas du document et sur la monnaie au centre à gauche.
[7] Le rostre est assez visible sur la monnaie en bas à droite.
[8] Le navire appareillant est visible sur les monnaies à l’exception de celle située en bas à droite du document.
Les infrastructures
A sommet des monnaies de Néron, en position centrale on remarque la statue de Neptune qui trône sur l’ensemble de la scène. La divinité brandi un sceptre dans sa main gauche. A sa base on remarque une structure de forme circulaire qui pourrait être le bâtiment du « faros ». L’ensemble de l’élévation semble être bâti sur un troisième élément[1] de forme vaguement ovale. Cela pourrait représenter le môle vu en coupe et de face, comme si l’on arrivait de la pleine mer face au port.
Symétriquement opposé au Pharos, en bas de la monnaie se trouve un homme représenté semi allongé, nu et de profil.
Cette représentation est comparable à celle des « dieux de rivières », elle est assez familière sur les monnaies impériales.
Les attributs sont différents des dieux de rivière conventionnels puisqu’il tient dans la main droite un gouvernail, et dans la main gauche un dauphin. Il adopte cependant la même posture.
Cela pourrait être une représentation symbolique qui matérialise l’endroit où l’eau douce du Tibre se jette dans la mer[2] ; ce lieu pourrait être personnifié par la divinité représentée ici.
L’association au dauphin, lui-même lié à la mer rapproche la symbolique de la mer, alors que le gouvernail symboliserait plutôt la rencontre du fleuve avec la mer et la navigation.
Il pourrait alors s’agir d’une divinité portuaire, cas déjà attesté par des monnaies Corinthiennes des périodes impériales. Cette représentation serait alors la personnification de la divinité du port d’Ostie. Il pourrait s’agir de Tibère[3], de Neptune[4], d’Oceanus ou Hafengott[5].
Sur la partie périphérique des monnaies de Néron on remarque deux môles semi-circulaires. Celui de gauche semble être aménagé de plusieurs constructions : portiques, horréa et un temple.
La partie périphérique droite quand à elle représente des arcades sur un môle semi-circulaire.
Ces constructions à proximité du bassin semblent particulièrement visibles sur le revers des deux monnaies de Trajan.
Alors que l’envers est frappé du buste de l’empereur de profil droit et inscrit sur le pourtour sa titulature, le revers affiche un port et des bâtiments autour d’un bassin de forme hexagonale.
Dès la fin du 1er siècle, le port de Claude commençait à s’envaser. Pour cette raison fut réalisé le projet de Trajan, qui comportait un nouveau port et schéma portuaire. Le bassin fut creusé à l’intérieur des terres, il était plus petit que celui de Claude, de forme hexagonale et d’une profondeur de 5 mètres.
Tout autour du bassin s’alignaient des entrepôts, une construction résidentielle importante « palais », un bâtiment administratif, un temple de « Liber Pater », un autre temple de forme circulaire de « Portumnus », d’autres sanctuaires, des thermes, une caserne de vigiles et une statue colossale de Trajan.
Entre le bassin et les horreas s’élevait un mur percé de portes destiné à la défense et à l’octroi. On peut supposer que ce mur et certains des bâtiments évoqués sont représentés sur ces monnaies, notamment sous la forme d’un péristyle à deux étages.
Quand un navire arrivait au port, il était conduit à un quai où son emplacement était marqué par une colonne numérotée. De nuit ou par mauvais temps, l’infrastructure portuaire pouvait être balisée par des feux au niveau des arcades, avec le combustible contenu dans des jarres[6]. Ces jarres sont représentées sur les arcades des monnaies de Trajan. Elles sont placées à intervalle régulier.
En périphérie de la représentation du port est mentionné « PORTVM TRAIANI », port Trajan. Les textes anciens évoquent au total trois ports appelés port Trajan : Ostie, Centum-Cellae et Ancône. La configuration du bassin et l’agencement des bâtiments permettent de déduire que la représentation ici est bien le port d’Ostie.
Enfin la dernière monnaie est frappée sur son recto du buste de l’empereur Commode, de profil droit, drapé et cuirassé. Autour de lui est écrite sa titulature.
Sur le revers de la monnaie est représentée une scène à l’entrée du port d’Ostie.
Dans la partie centrale droite l’empereur Commode se tient de profil (côté gauche), il porte la tenue pontificale et ses attributs (une patère et un rouleau de parchemin). Il vient de sacrifier un bélier[7] étendu sur le rivage. A proximité de l’empereur se trouvent un trépied et un prêtre.
La scène se déroule sur un môle. Derrière l’empereur, sur la droite un phare à 3 étages pyramidaux à degrés est paré au sommet d’un feu à l’aire libre. Il s’agit d’une représentation du Pharos d’Ostie, inspiré du prototype d’Alexandrie et premier construit dans le monde romain.
Au devant de l’empereur (sur la partie gauche) est représentée une scène de navigation composée de deux gros navires et de trois barques : deux scapha sont en train de remorquer les deux navires lourds alors qu’un troisième scapha (au 1er plan) se dirige vers le port.
Face à l’empereur et remorqué par un scapha composé de quatre rameurs, un vaisseau lourd fait route vers le port. Il a sa voile gonflée, à sa proue on distingue un mât incliné vers l’avant et gréé d’une voile « vexillium » utilisée comme un foc et pour faire de l’ombre sur le pont. Au niveau de la poupe un personnage est assis. Il est en armure, avec un casque à cimiez et porte à la main droite une épée. On suppose qu’il s’agit du capitaine du navire divinisé, peut être Jupiter Serapis ou Fortuna Dux. Tous les personnages (rameurs, capitaine du vaisseau font face à l’empereur).
Surplombant la scène, au sommet de la monnaie, l’autre navire lourd est remorqué par un rameur unique dans son scapha. Le navire est train de naviguer sur sa voilure principale (mât central).
Cette monnaie fut sans doute frappée vers la fin du deuxième siècle de notre ère, en référence à la flotte Africaine armée et établie en urgence par Commode en 186. Cette flotte avait pour mission d’aller chercher du blé en Afrique suite à la pénurie Egyptienne. Le succès de l’opération a donnée lieu à la glorification de l’empereur et de sa flotte, glorification notamment visible sur cette monnaie.
[1] Très visible sur les monnaies du centre côté droit et du bas côté gauche
[2] Par comparaison, le revers de certaines monnaies d’Alexandrie symbolise la rencontre du Nil et de la Méditerranée au port d’Alexandrie.
[3] Selon SYNDENHAM, The Coinage of Nero, Londres, 1920 p. 108
[4] Selon MATTINGLY, BMCEmp. I, p. 221
[5] Selon IMHOOF, Fluss und Meergötter, p. 247.
[6] C’est la théorie du Professeur Gilbert Bagnani qui propose un système de guidage par des feux pour les navires appareillants et accostants
[7] L’animal est peu visible sur la monnaie. Il repose en bas à droite. Il peut s’agir d’un cerf ou d’une chèvre.
Conclusion
Ces représentations évoquent une cité prospérité et relativement libre qui pourrait frapper sa monnaie pour sa propre gloire. Ce genre de cas est attesté sous l’empire romain.
Ces monnaies peuvent également célébrer l’arrivée au port des flottes chargées du blé de Rome.
Mais au-delà de ces aspects, il s’agit de l’expression propagandiste de la puissance du port d’Ostie, point d’arrivée du blé ravitaillant Rome. Imagé comme dynamique, organisé, là où chaque élément est synchrone, le bassin est représenté « saturé » de navires chargés du blé d’Alexandrie qui maintiennent l’approvisionnement de Rome à un moment crucial (risque de famine).
Les monnaies de Néron affichent ostensiblement un bassin rempli de navires chargés de blé autour du quel sont édifiés divers bâtiments. Cette représentation portuaire laisse entendre que Néron a réalisé un certain nombre de constructions dont on ne saisit pas encore la totalité.
Alors que certaines constructions d’Ostie et de son port sont clairement attestées à Claude, Trajan ou Septime Sévère, il semble très probable que Néron compléta les structures : il aurait réparé les dégâts de l’incendie de 64, établi de grands plans d’aménagements futurs, particulièrement avec la création d’un canal amenant directement à Rome les navires, à travers la Campanie[1].
Ces monnaies évoquent également le souvenir de l’achèvement du port. Ainsi il n’est pas représenté tel qu’il est géographiquement ordonnancé. La différence géographique entre les bassins semi-circulaire et hexagonaux serait à mettre sur le compte d’un souci d’angle de vue et de représentativité.
La monnaie de Trajan affiche un bassin hexagonal flanqué de nombreux bâtiments, richement décorés. Cette monnaie évoque le succès de l’entreprise de rénovation du port d’Ostie.
Dans le cas de la monnaie de Commode, elle vise à marquer la divinisation de l’empereur qui en sacrifiant un animal place l’entreprise de sa flotte sous le soutient des dieux. Le succès de l’opération, gravée sur la monnaie, rappel l’aspect divin de l’empereur.
[1] Cf. TACITE, Ann. 15.42-43 ; SUETONE, Nero 31 ; cf.16)
Excellent article, les revers des monnaies romaines sont passionnants et très riches
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerbonjour; très bel article
RépondreSupprimerpourrais je avoir l'autorisation de le copier pour le mettre un jour prochain dans notre bulletin mensuel du cercle numismatique de Liège
en précisant votre nom bien entendu
merci
nebel françois franznebel@msn.com