L’immigration italienne à Nice :
Il est important de discerner deux raisons fondamentales de l’immigration italienne, à savoir une immigration économique, et une immigration politique.
En effet, l’immigré italien peut être :
- un travailleur qui vient chercher un meilleur salaire.
- un opposant à Mussolini : les « fuorusciti ».
- un fasciste qui vient accompagner et/ou surveiller la communauté.
L’immigration s’imbrique dans les relations diplomatiques franco/italiennes :
Le contexte de la victoire mutilée et le sentiment que l’Italie a été oubliée (traité de Versailles) ainsi que diverses tensions tels que les propos Mussoliniens anti-français rendent la situation instable.
La montée du fascisme Italien crée un problème diplomatique en France :
Mussolini diffuse ses conceptions fascistes en France par le biais de faisceaux, des groupuscules qui s’implantent dans près de 10.000 villes françaises.
Le gouvernement craint que le développement de ces groupes politiques crée des affrontements inter-italiens sur le sol français.
En 1924/25, quand Mussolini affirme son pouvoir, la perspective d’une guerre France-Italie apparaît et place Nice comme un enjeu stratégique. Le révisionnisme Mussolinien apparaît fréquemment dans ses discours, marqués par la volonté de s’approprier les territoires latins du comté de Nice, de la Savoie et de la Corse.
Avant de les récupérer militairement, Mussolini encourage une vague de colonisation par l’immigration.
A Nice la tension est à son comble. On vit dans une psychose. En 1927, de nombreux incidents de frontière avec pénétration de carabiniers dans le haut-pays justifient les craintes d’une invasion imminente.
L’armée française se regroupe à Menton avec une flotte importante, tandis que l’armée italienne militarise la frontière.
En 1927 a lieu une rencontre diplomatique à Nice pour tenter de calmer la situation.
1. L’importance de l’immigration italienne :
L’immigration italienne est un enjeu important entre la France et l’Italie.
C’est une manne providentielle du fait de la baisse démographique et des difficultés économiques engendrées par le conflit.
A ce moment l’Italie était enlisée dans des difficultés économiques et dans la montée progressive du fascisme.
Logiquement alors les Alpes Maritimes faisaient office de terre d’accueil :
En France en 1921 on comptait 450.000 italiens, dont 75.000 dans les A.M.
En 1931 on en comptait 1000.000, dont 120.000 dans les A.M.
A Nice, les immigrés italiens venaient essentiellement des régions voisines du Nord de l’Italie : Piémont, Ligurie. C’était une population jeune et mixte.
1 immigré sur trois était actif en 1926 : ils travaillaient dans l’industrie ou dans l’agriculture (1/10), dans le bâtiment (1/4), ou dans l’habillement, la vannerie, l’hotelerie, les domestiques, concierges, jardiniers, chauffeurs, commerçants…
Beaucoup vivaient néanmoins dans des conditions précaires, en bidon-ville.
Cette communauté a été vite marginalisée, d’autant que les immigrés restaient très solidaires et à l’écart des autres.
2. Immigration et relations franco-italiennes dans les années 20 :
La source du conflit diplomatique est l’ancien comté. En plus, la présence italienne est très massive dans les A.M. Il y a un jeux d’influence décisif sur ces populations immigrées.
En 1925/26, les lois fascistisimes de Mussolini donnent un avant-goût de son pouvoir : « irrédentisme » (récupérer un territoire qui appartenait il y a longtemps).
Des pôles italiens se développent en Corse, Savoie et Alpes Maritimes afin de verrouiller la situation.
Ces pôles sont les « fasci all’estero » : se sont des groupuscules présents dans 20.000 villes françaises sous la forme de consulat.
Il s’agit d’une structure qui confond habillement l’Italie et Mussolini, avec pour objectif de préserver l’italianité des immigrés et empêcher leur intégration. Pour cela ces groupes utilisent la propagande, l’embrigadement, le contrôle social…
Ces tensions sont particulièrement exacerbées à Nice. L’immigration n’est pas toujours bien perçue par les niçois qui développent des sentiments de concurrence sur le marché du travail et de la xénophobie.
Les réfugiés italiens, « fuorusciti » mènent des actions depuis l’étranger contre le gouvernement Mussolinien.
Ces actions antifascistes font finalement écho à celles des immigrés italiens fascistes.
Le développement de ces groupes accroît les tensions entre les communautés, notamment à Nice, surtout après le meurtre du député italien Matéoti en 1924.
Cet événement crée de grandes manifestations et des violences, entre 1924 et 1929.
Ainsi apparaît une tentative d’unité nationale italienne antifasciste. En France, on remarque deux pôles importants, l’un dans le Sud-est, l’autre dans le Sud-ouest.
En 1926, c’est l’apogée du nombre d’immigrés italiens dans les A.M. (postérieurement le nombre décroît surtout en raison de ceux qui obtiennent la nationalité française). On assiste alors à la radicalisation du discours fasciste, l’augmentation du nombre de provocations avec par exemple le révisionnisme des traités. L’immigration est décrite comme une « colonisation en douceur ».
La frontière au niveau de Menton est hyper surveillée et médiatisée.
Ainsi se propage à Nice la psychose de l’invasion italienne imminente. Il est vrai cependant que la frontière subi une militarisation importante et qu’il y a régulièrement des incidents à la gare internationale de Vintimille entre les cheminots français et italiens.
Une presse fasciste se développe et est diffusée à Nice : « il pensiero latino ».
3. La surveillance policière de la communauté italienne :
Les tensions engendrées par les communautés d’immigrés italiens effrayent les français. Face à cette menace, le ministère de l’intérieur demande la surveillance par la police des immigrés. Ainsi débutent les premiers fichages, expulsions… Cette démarche de renseignements est très médiatisée par les quotidiens.
Ainsi les enquêtes policières se justifient : on déjoue les attentats, les pièges. La tension serait régulée.
L’une des stratégies de Mussolini serait d’envoyer à Nice notamment des « agents provocateurs » qui convaincraient des immigrés de rentrer en Italie assassiner Mussolini. Ainsi 4 tentatives d’assassina auraient été avortées (la cible est en réalité le commanditaire de l’assassina).
Ainsi Nice serait perçue en Italie comme le berceau des opposants. Cela justifierai la conquête.
Face à cette stratégie le gouvernement français répond par la prévention et la surveillance des groupes italiens, fascistes ou opposants. Toute manifestation pro ou anti Mussolini est interdite. Les méthodes des R.G. sont dès lors les filatures, infiltrations, analyse de presses, espionnage, emprisonnement et expulsions.
On interdit certains journaux ou associations.
La police essaye d’égaliser ses actions vers chaque camp politique. Mais globalement l’action des pouvoirs publics est limitée à cause du manque de moyens, de la lourdeur administrative et des mauvaises connaissances de la langue italienne.
4. Le fascisme dans les Alpes Maritimes :
Il apparaît sous diverses formes dès 1923 après l’épisode de la marche sur Rome, avec des associations et un réseau d’espions.
A la même époque un homme Bonservizi développe un journal, « Italia Nuova » orienté sur l’idéal mussolinien. Il est assassiné en 1924.
Dans les Alpes Maritimes, les fasci (goupes mussoliniens) se développent en encadrant des enfants (colonies de vacance), en faisant des œuvres d’assistance (« casa degli italiani »), des évènements comme la « Befana fascista » (une fête avec des cadeaux)…
Les fasci constituent un réseau dense et hiérarchisé :
· Le Consulat Général, établi à Nice
· Le Vice Consulat, à Cannes et Menton
· Les Agences Consulaires de Villefranche, Antibes et Grasse
Une société « Dante Alighieri » relaye le message Mussolinien aux classes sociales plus élevées.
Les figures locales du fascisme sont
- le baron Le Brecht
- le capitaine Drugmann
Ces hommes se disputent le pouvoir, chacun représentant soit les fasci, soit le consulat.
Drugmann triomphe en 22/23. Ce dernier est soutenu par Rome mais il est contraint de démissionner suite à une affaire spectaculaire à Nice.
Le 21 avril 1924 a lieu dans la vieille-ville une manifestation pro-mussolinienne suite à l’assassina de Buonservizi. Le groupe de manifestant, guidé par Drugmann se rassemble alors à l’église St Jaume, où est béni le « gagliareletto » (fanion mussolinien). Cet évènement entraîne alors un soulèvement rapide des anti-mussolinien qui se massent au dehors de l’église. Une émeute et des combats violents ont lieu durant deux heures dans le vieux-Nice.
Cet évènement rend impopulaire le mouvement fasciste et il disparaît pendant plus de 2 ans de Nice.
En 1925, l’apparition du journal « Pensiero Latino » remet en selle les fascistes locaux. Pour le contrer, l’opposition publie son propre journal entre 1925/26, et tente même de supplanter les deux éditions locales. « La France de Nice et du Sud-Est » apparaît ainsi, grâce au financement du maire de Beaulieu A. Dubarry. Le journal s’oriente comme organe de presse anti-fascistes, radicalement à gauche.
L’innovation de cette édition est le contact avec des élites italiennes et la publication de deux pages en italien, résolument ordurières à l’encontre de Mussolini avec notamment les Campolonghi (père & fils).
Cette guerre des presses implique rapidement des actions de militants, ce qui oblige à l’intervention policière.
En 1928 le Pensiero Latino est interdit en France, ce qui immédiatement réduit l’activité fasciste et paradoxalement diminue l’impact de l’autre journal (La France de Nice et du Sud-Est).
Le 1er septembre 1930, un attenta au restaurant des « lilas blancs » commis en pleine réunion fasciste tue 10 activistes.
L’affaire Garibaldi fait grand bruit :
Riciotti Garibaldi est connu pour son activisme anti-fa. Il est également honoré par son courage lors de la 1ère guerre mondiale. Le journal « La France de Nice et du Sud Est » révèle alors qu’il serait en vérité un espion à la solde de Mussolini. Il est jugé puis expulsé hors de France. Cette affaire provoque une émotion vive à Nice, le nom de Garibaldi est souillé.
5. Les anti-fascistes dans les Alpes Maritimes :
Ce groupe est un agrégat de plusieurs horizons politiques. Il est composé de communistes, de radicaux, d’anarchistes, et d’autres opinions divers et disparates.
Cela engendre des difficultés de coordination, ils n’arrivent pas à construire une opposition valable.
En 1928, à Nice :
- P.C. : 100 adhérents italiens.
- La Ligue des Droits de l’Homme : 100 adhérents italiens.
- Socialistes : 400.
6. Les conséquences des relations franco-italiennes :
La population niçoise perçoit l’immigration italienne d’un mauvais œil. Pourtant il s’agit d’une culture similaire. Mais des sentiments de rejet et de xénophobie se font sentir.
Dans l’entre-deux guerres (conjoncture de crise), un racisme anti-italien donne lieu à une véritable « italophobie » et à des préjugés : « tous des communistes/fascistes » La guerre de 43 et l’arrivée de l’armée italienne dans le département entraîne une immigration politique et la diversité sociale des populations italienne.
Le 28 août 1944, Nice est libérée. La population souhaite alors punir ces immigrés, surtout la vague arrivée sous l’occupation entre le 11 novembre 1942 et le 8 septembre 1943. C’est l’ultime soubresaut de l’italophobie.
Un journal apparaît pour l’occasion, « l’Ergo ». Il publie des listes de noms de fascistes.
Pour épurer le département de nombreuses expulsions sont réalisées. En 1945 le bal du 14 juillet de Carras se transforme en pugilat : 2 carabiniers sont tués, la police américaine ramène le calme dans le quartier.
A Menton un camp d’immigration est installé dans l’hôtel Caravan. Cette italophobie est la fin d’un cycle de vengeances. Dans l’après guerre ce sentiment disparaît.